Des choses / cet été / Marrakech

Tahar Ben Jelloun

Depuis que nous fabriquons des soleils à volonté

des soleils prêt-à-porter

          dans l’ordre de la clarté et de la lune mesquine

des chevaux pure race

         habitent notre rétine

des palmiers préfèrent l’exil au ciel ouvert

                 nous envoient la pitié en crachats doux

Depuis que l’oiseau a fendu la lumière de notre blanche torpeur

Depuis tant et tant

        foules

        hordes

        poitrines collées à l’asphalte

La flamme, l’aurore et l’espoir

ne sont que des vocables qui caressent les fesses des tortionnaires et chatouillent leurs aisselles salées

ils rient du verbe et du courage

et s’aspergent de bière fraîche :

Du bois sec à la place de la langue

la salive amère dans les yeux

un bout de rêve accroché à la lumière du matin et puis les murs ne bougent plus.

C’est l’accalmie.

Nous sommes coincés dans l’étau du silence / l’air passe par le condensateur / se charge de toutes les sentences / vient habiter nos corps.

D’une nuit à l’autre.

La chaux fait des trous dans les corps

      des fleurs folles poussent dans les trous

      béants que draine l’horizon.

Et le soleil ?

Immobile.

Consent à brûler les pages du poème.

En attendant il a adressé un télégramme de soutien et de félicitations au patron du club méditerranée de Marrakech.

C’était à l’occasion du viol que quelques femmes du Sud.

On fit venir la mer jusqu’à Marrakech. La place Jamaa-el-Fna était devenu une immense plage de sable chaud et fin. De leur balcon les membres du club pouvaient plonger dans le ressac de la mer.

En fait depuis que le club s’est intégré à la vie commune de la ville, on a surnommé la place Jamaa-el-Fna « Place de la Compréhension Mutuelle ».

Les touristes étrangers disent aux arabes : « mon frère », « mon camarade ».

La honte et la silence.

Immobiles.

D’autres se faisaient sauter les testicules avec un chalumeau.

Les murs parlaient.

La pierre témoignait.

La lumière saignait dans les yeux.

Le pouce et la face apposés sur mille et un procès-verbaux.

Déposition du crépuscule.

Déposition du sang noir qui sort glacé.

Et la mer vient caresser notre front collé contre la pierre.

Les vagues chantent et bercent le sommeil tendre des gens du club.

Main étrangère ouvre ton ventre

             fouille tes tripes

y trouve matière et pièces à conviction

y trouve une caserne souterraine.

Main gantée te confond avec la pierre.

Tu consens à brûler dans la chaux vive.

Tu prends ta tête et la déposes sur le banc des accusés. Il en sort des milliers d’enfants nus.

Tu te dis : elle n’est pas vide ma tête. Elle bouillonne. Elle appelle les hommes courbés sur les champs nus.

À côté c’est la mer nouvellement importée. Fraîche et monotone.

Il n’y avait jamais de lune à Marrakech.

A présent en plus de la mer, nous aurons la pleine lune une fois par semaine.

Pour le moment nous n’avons plus de sang. Nous n’avons qu’un liquide jaune. Notre sang a été terni par le soleil. Quelle histoire !

J’ai vu un juge en bonnet de cuisinier dresser un âne pour le berlin-circus.

J’ai vu l’instance divine manger un oiseau vivant sur les genoux de Harrouda-la-Destinée.

J’ai vu

la mort nue assurer la garde des prisonniers.

La mort blanche

s’installer dans leur regard leur proposer un compromis.

J’ai vu

la mort bleue faire les cent pas devant le box en cristal

elle colorait vos yeux.

Je sais

vous avez choisi le silence au bout de la corde dans l’oasis de votre cœur

vous soulevez la terre

         et interrogez les pierres

elles vous diront le Livre

elles vous diront l’histoire en haillons

battue comme la terre rouge

la terre qui parle aujourd’hui.

Nous laissons aux « marchands des jardins et des sables » les filles nues du désert

les filles qui dansent jusqu’à l’aube la mort / l’ennui / l’oubli / la mémoire charcutée

Nous vous laissons

les épices venues du fond de l’Orient au pas nonchalant des caravanes — cumin — girofle — femmes voilées — sexes doubles — roses séchées – ambre — cocacola de notre pisse — racisme à la cannelle — henné à l’aurore inerte — complot à l’encens pur de La Mecque — benjoin à la lyautey — santal à la sueur du prolétaire accusé de fomenter des troubles — olives marinées dans le jus violacé de notre sang — blennorragies étoilées — bois de thuya de cèdre et de citronnier à la salive complice de la rancune du chameau — des ruisseaux à emporter — l’ombre épaisse de l’erreur — la mort musulmane livrée en blanc sans pleurs — sans youyou

      — la mort musulmane calme et douce face au levant —

notre monde possédé se livre à l’énigme où la mémoire porte le deuil.

Les cigognes ne s’arrêtent plus à Marrakech.

L’arbre siège en observateur neutre.

La grenouille témoin à charge.

Une main de faïence accuse.

Un crâne récalcitrant confirme.

A chacun sa justice dans la parodie du ciel.

Le crapaud conteste.

On invoque le soleil et la suite. Absent.

La mer arrive.

Le mer monte.

La mer avance.

Les enfants nus derrière.

Il n’y a plus de place publique.

Il n’y a plus de plage.

La mer arrive au grand boulevard.

La mer avance.

On invoque le Coran.

Le Livre se ferme.

Les vagues emportent le tribunal.

Le juge s’enroule dans l’algue.

Les greffiers ont pris le large.

Le sel marin a dissous les chaînes.

L’écume de la vague envoie son premier communiqué :

   A nous le pain et la terre.

   Nous réinventerons le soleil sur carte perforée par la liberté.

Marrakech se relève.

Cette année l’été a eu le goût des figues.

Les nuits n’étaient pas fraîches.

On ne sortait pas caresser les étoiles sur la dune.

A présent les nuits sont à l’usure du roc.

C’est la cécité

pour l’astre qui s’agenouille.

One or Two Things / This Summer / Marrakesh

translated by Jake Syersak

Ever since spitting out those all-you-can-eat suns

those ready-to-wear suns

           like rays of light or the closed-fisted moon

our eyes make space

        for thoroughbred horses

palm trees opt for exile when offered the wide-open sky

        have sent us pity in strand after strand of sweet phlegm

Ever since birds clove the light of our colorless sleep

Ever since many, so very many things

               droves

               masses

               chests pasted like glue to the asphalt’s cold

Flame, dawn, hope

have become mere words to caress the asses of sadists with, to tickle their sweat-stained underarms with

they sneer at language, at courage

showering one another in ice-cold beer:

Gnarled wood where tongues should be

a salivary goo where the eye-sockets are

the end of a dream clinging relentlessly to curtains of morning light when suddenly the walls closing in on us won’t give way anymore.

It’s the eye of the storm.

Into the vise of silence we are sucked / air circulating through a condenser / handling every sentence with care / flooding the insides of our bodies.

From one night to the next.

The quicklime wends and worms our bodies

      from the wide-open holes shoot asylums of flowers leading straight into the drainage

         ditch that is the horizon’s.

And the sun?

Motionless.

Agrees to burn the poem’s every page.

Meanwhile sends a telegram to the head of Club Med Marrakesh expressing a show of support and congratulations.

On occasion of several women from the South having been violently raped.

The sea was summoned to Marrakesh. Jamaa-el-Fna Square had become a wide-spanning beach of silky-smooth sand. It was possible for club members to dive straight into the surf from the privacy of their own balconies.

As a matter of fact, the club, having become an integral part of everyday city life, coined Jamaa-el-Fna Square “The Square of Mutual Understanding.”

Tourists from all over addressing Arabs as “brother,” as “comrade.”

Shut mouths, shame.

Motionlessness.

Others were having their testicles sautéed by a blowtorch.

Walls wagged their tongues.

Stones bore witness.

Light hemorrhaged from eyes.

Thumbs and faces were affixed to a thousand and one reports.

Deposition of twilight.

Deposition of the bloody outpour: black, curdled, and cold.

In comes the sea to caress our pasted-to-the-street countenance.

The coming-and-going waves sing and cradle the serene dreams of the club’s guests.

A foreign hand disembowels you

              roots around in your guts

for something useful, something to sway a jury with

something of a deep-seated weapons cache.

The gloved hand mixes you up with the street.

You give up and melt into quicklime.

You take your head and place it on the defendant’s bench. Thousands of naked children flow out.

You say to yourself: my head isn’t empty. It simmers and seethes and boils over. It calls out over the wasteland to all the twisting and writhing spines of man.

Beside you is the sea, newly imported. Refreshing and monotonous.

Never was there moon over Marrakesh.

Nowadays, in addition to the sea, once a week we get one of our very own.

Now we’ve got no blood. Nothing but yellow liquid. Our blood, tarnished by the sun. Wow, what a story!

I saw a chef-hat-wearing judge prepping an ass for the Berlin Circus.

I saw divine powers-that-be swallow a living bird alighted upon the knee of Harrouda-the-meant-to-be.

I saw

death, bare-boned death, keeping lookout over the prison guard’s shoulder.

Death-in-white

tail-spinning into their eyes with some compromise in mind.

I saw

death-in-blue pacing back and forth before the crystal box

coloring your eyes.

I know

you have chosen what silence descends from the end of your rope into the oasis of your heart

you lift the earth

       and question every stone

they answer in the tongue of the Book

they answer in the tongue of the outworn script

pummeled like red earth

the open mouth of the earth today.

We leave to the “merchants of sands and gardens” the stripped-to-the-nude ladies of the desert

the ladies who dance until dawn to the frequency of death / of ennui / of oblivion / of hacked-from-the-bone memory

We leave you

 spices from the heart of the Orient via the nonchalance of caravans—cumin—clove—veiled women—lookalike sexes—dried roses—amber—our pissy Coca-Cola—cinnamon-roll-racism—the non-rolling aurora of henna—an unraveling plot in the purest of Mecca’s incense—Lyautey’s benzoin-twirled moustache—sandalwood from the sweat-laden brow of a workingman accused of fanning the flames of discontent—olives marinated in our violaceous blood sluice—star-spangled gonorrhea—thuja woods cedar woods and lemon tree woods in the conspiratorial spit of the camel’s spite—wash-you-away streams—rough-shadowed wrongdoing—Muslim death handed down in the whitest of white without weeping—without wailing

 

      —a calm and gentle Muslim death pointing eastward, ever-eastward—

our world a world possessed surrendering to brain-twisters whose memory ushers forth mourning.

The storks won’t be stopping in Marrakesh from here on out.

The tree takes the stand as a neutral observer.

The frog provides damning testimony.

An earthenware hand casts its accusation.

A hard-headed skull upholds the verdict.

To each their own vision of justice in the parody of the sky.

The toad protests.

Someone invokes the sun and its entourage. Nowhere to be found.

The sea arrives.

The sea rises.

The sea advances.

Naked children in tow.

There is no longer any public square.

There is no longer any beach.

The sea arrives at the grand boulevard.

The sea advances.

Someone invokes the Qur’an.

The Book shuts.

The waves sweep the court out to sea.

The judge entwined in seaweed.

The clerks have set sail.

The sea salt has dissolved the chains.

Seafoam from the wave sends out its first communiqué:

   Bread and land are ours.

   We will reinvent the sun on a punch-card whose holes are freedom’s.

Marrakesh rises to its feet.

That year, summer was like figs on the tongue.

Not a chill in the air, come night.

Though stars adorned the dunes, we kept our hands to ourselves.

Now, those nights wear the rock’s erosion.

And blindness

strikes the kneeling star.

about the authors
Tahar Ben Jelloun

Tahar Ben Jelloun

Tahar Ben Jelloun is an acclaimed poet, novelist, scholar, and human rights activist. In 1966, he was interned in a military camp for participating in student demonstrations against the Moroccan government. There, he wrote his first poems and discovered his passion for writing, eventually establishing himself as one of the most outstanding writers of the Souffles-Anfas generation. He went into exile in France in 1971, where he received a doctorate in social psychology from the University of Paris and authored numerous works, including The Sacred Night (1987)—for which he became the first African-born recipient of the Prix Goncourt—and This Blinding Absence of Light (2004), which received the International Dublin Literary Award. He has been nominated for the Nobel Prize several times. He lives in Paris.

 

Jake Syersak

Jake Syersak

Jake Syersak is the author of the poetry books Yield Architecture (2018) and Mantic Compost (2022). He is also the translator of several works by Mohammed Khaïr-Eddine. His work has received grants from The National Endowment of the Arts and PEN/Heim. He lives in Olympia, Washington.

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Translator's Note